Image et Politique    

Aujourd’hui, la démarche et les techniques des Visual Studies sont installées et reconnues au sein des sciences sociales, notamment grâce à la démocratisation des outils audiovisuels (Giglio-Jacquemot, Gehin, 2012). De fait, de plus en plus d’enquêtes sociologiques se font au moyen de la photographie (Cuny et al., 2020), du dessin (Nocerino, 2016), du film (Durand et Sebag, 2020) ou du réemploi d’archives audiovisuelles (Fournier, Cesaro, 2020), quand ce n’est pas par réemploi d’images produites par les acteurs sociaux (Galibert-Laîné, 2021). Néanmoins, les objets de la sociologie politique n’ont été que très peu investis (Mattioli, 2007), contrairement aux domaines du travail, de la famille ou de l’urbain. Parce qu’il engage un regard réflexif sur l’expérience sociale, parce qu’elle possède une tension dramatique intrinsèque, le rapport au politique, la compétition politique sont des matières qui sont propices à l’écriture visuelle. Et pas seulement pour la fiction, le reportage ou le documentaire. On ne peut que constater la très forte analogie entre l’analyse située telle que celle qui est pratiquée dans une partie des sciences sociales (dans le prolongement de l’ethnographie française ou de la microsociologie initiée par l’École de Chicago) mais aussi par les partisans du cinéma-vérité (notamment les films documentaires, les films ou les séries recherchant un effet de réel). À chaque fois, au fond, il s’agit de rendre compte d’un compartiment du monde social, un monde de relations, de positions et de petites routines dont l’observation filmée vise précisément à restituer les principes d’ordre, les logiques d’action ainsi que les représentations qui les organisent.

Mettre ces situations en image, c’est-à-dire littéralement donner à voir des conditions d’existence, confère une double dimension à l’expression « politique de terrain » (Olivier de Sardan). Depuis Jacob Riis, enregistrer le réel par l’image, c’est entrer autrement dans la politique, définie ici comme toutes les formes d’interaction qui, dans la société, engagent des rapports (de force, de soumission, de contestation, de résignation) à l’ordre établi et au droit. Cette définition extensive de la politique recouvre également toutes les formes prises dans le monde social ordinaire par les oppositions d’idées ou d’intérêts, la concurrence entre les individus ou les groupes pour des ressources. Dans cette perspective, l’écriture visuelle des sociologues du politique doit imaginer les moyens photographiques ou filmiques de donner à voir les tensions et les conflictualités qui travaillent la société. Photodocumenter ou vidéodocumenter un terrain, c’est aussi emmagasiner des données (entretiens individuels ou collectifs, scènes de la « vie ordinaire », actions de mobilisation, d’affrontement, de négociation…) qui permettront une analyse différée du monde social à partir des traces visuelles de l’enquête, souvent empiriquement très denses. Notamment pour mieux comprendre la subjectivation politique ou la politisation en train de se faire.

Un premier cycle de séminaire a travaillé à dresser un état des lieux des terrains, débats et agendas de la recherche sous l’intitulé Images du politique, politiques de l’image (IPPI) qui s’est déroulé tout au long de l’année 2021-2022.

Outre un inventaire des chercheurs impliqués dans de telles pratiques de recherche et un recensement des références bibliographiques et filmographiques associées, une des premières concrétisations des travaux de ce séminaire a été l’organisation d’une rencontre lors du Congrès 2022 de l’AFSP à Lille, sous le format d’une Conversation méthodologique.

L’activité initiée autour de la sociologie visuelle du politique se poursuit en 2022-23 à travers un séminaire inter-laboratoires (Mesopolhis, Iremam, Prism) soutenu par la MMSH sous le titre « Images du politique et politiques de l’image en Méditerranée (IPPI Med) » (coord. Philippe Aldrin, Pascal Cesaro, Pierre Fournier, Vincent Geisser). Il vise à discuter des expériences de recherche et de création artistique en vue de préparer des projets d’enquête sur l’image et avec l’image autour d’une réflexion sur les rapports ordinaires à la citoyenneté dans un monde où les appartenances sociales sont démultipliées et où la définition « par le haut » de la citoyenneté, celle de l’État, du droit, des administrations, semble concurrencée et parfois contestée par des définitions « par le bas » à travers une pluralité de pratiques. Les représentations visuelles de cette citoyenneté alternative, qu’elles soient individuelles (comptes personnels sur les réseaux socio-numériques) ou collectives (collectifs associatifs, artistiques, militants), y occupent une place tout à fait centrale qu’il s’agit de documenter.

Taina Tervonen en discussion avec Pierre Sintès lors de la projection-discussion de Penser avec les morts à la MMSH le 24 novembre 2022. Crédits : Vincent Geisser
Taina Tervonen en discussion avec Pierre Sintès lors de la projection-discussion de Penser avec les morts à la MMSH le 24 novembre 2022. Crédits : Vincent Geisser
Taina Tervonen en discussion avec Pierre Sintès lors de la projection-discussion de Penser avec les morts à la MMSH le 24 novembre 2022. Crédits : Vincent Geisser
Taina Tervonen en discussion avec Pierre Sintès lors de la projection-discussion de Penser avec les morts à la MMSH le 24 novembre 2022. Crédits : Vincent Geisser