LES SEMINAIRES PROCLIMEX/ALCOM

Séance n°6 du Cycle de séminaires « L’urgence écologique au prétoire » du programme ANR PROCLIMEX et du programme ALCOM - Laboratoire d’innovations juridiques: les procès climatiques d’Amérique du Sud 

Le 1er février 2023 de 15h30 à 18h30 avec :

  • Fernanda de Salles Cavedon, Postdoctoral Fellow, Expert in HR, Disaster Risk Reduction, Climate Change, Human Mobility. Tendances du contentieux climatique en Amérique du Sud : droit de la nature et écologisation des droits humains
  • Gonzalo Sozzo, Professeur à l’Université du littoral de Santa Fe, Les contentieux climatiques en Argentine
  • Julia Neiva, Directrice adjointe de l’ONG Conectas Direitos Humanos, Les procès sur le financement climatique au Brésil (jugement PSB et al. c Brésil et le recours contre la banque de développement brésilienne)
  • Angela Schembri Pena, Doctorante à la Pontificia Universidad Javeriana et à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Les procès climatiques et les entreprises en Amérique du Sud
  • Natalia Castro Niño, Avocate à la Cour interaméricaine des droits de l’homme et professeure de l’Universidad Externado de Colombia, Le contentieux climatique et la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme

Séance n°5 du Cycle de séminaires « L’urgence écologique au prétoire » du programme ANR PROCLIMEX et du programme ALCOM - Jugements des Cours suprêmes et autres recours climatiques en instance

Le 30 novembre 2022

Organisé par la Professeure de droit public Christel COURNIL, ce séminaire a réuni trois intervenants : Mathilde Boutonnet, Professeure de droit, Université Aix-Marseille ; Ivano AlognaResearch Leader in Environmental and Climate Change Law, British Institute of International and Comparative Law ; Filippo P. FantozziLegal Associate, Climate Litigation Network.

I. La décision « West Virginia v. EPA » de la Cour Suprême américaine

Dans le cadre de son intervention, la Professeure Mathilde Boutonnet revient sur la décision « West Virginia v. EPA »[1] de la Cour Suprême américaine, rendue le 30 juin. Cette décision s’inscrit dans le mouvement des procès climatiques né aux Etats-Unis avec l’affaire « Massachussetts v. EPA »[2]. Ce mouvement de procès oscille entre deux grandes tendances, l’une consistant à aller devant les juges pour qu’ils imposent des mesures permettant de renforcer la lutte contre le changement climatique et l’autre ayant vocation à contester les mesures prises pour lutter contre le changement climatique. L’affaire « West Virginia v. EPA » s’inscrit dans cette seconde tendance, à travers un litige à l’encontre des mesures adoptées par l’Agence Fédérale Environnementale (EPA) qui étaient destinées à réguler le secteur énergétique et à opérer un réel changement de modèle énergétique.

La question posée à la Cour Suprême dans le cadre de l’affaire « West Virginia v. EPA » consistait à savoir si l’Agence Fédérale avait compétence pour adopter un plan conduisant à opérer ce changement énergétique. Dans cette décision, l’opinion majoritaire répond défavorablement. Par une interprétation extrêmement libérale de la Constitution américaine, la Cour précise que, bien que le plan n’a jamais été appliqué, les Etats et entreprises demandeurs ont un intérêt à agir. La Professeure Mathilde Boutonnet souligne ainsi que l’examen de la recevabilité de l’action constitue un moment clé dans les procès climatiques américains, dès lors que cet examen peut permettre aux juges de limiter la politique de lutte contre le changement climatique.

En filigrane, cette décision prive l’EPA d’une compétence opportune pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et accélérer la transition énergétique. En refusant une telle compétence à l’EPA, la Cour se ferait en quelque sorte « elle-même décideuse de la politique climatique ». Cette décision montre enfin comme la Cour est peu encline à rendre des décisions futures favorables à cette transition.

II. Le jugement de la Haute Cour Britannique sur la stratégie Net Zéro

Dans son intervention, le chercheur Ivano Alogna présente le jugement de la Haute Cour Britannique qu’il qualifie de « révolutionnaire » sur la stratégie Net Zéro (2022)[3]. Dans sa décision, la Haute Cour a conclu que les plans du gouvernement britannique visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre étaient inadéquats et enfreignaient la législation nationale. Trois plaintes distinctes ont été formées contre le gouvernement sur la base de la stratégie Net Zéro d’ici 2050 adoptée en octobre 2021 en vertu du « Climate Change Act » (2008). Cette loi obligeait le gouvernement britannique à fixer et atteindre des objectifs juridiquement contraignants pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. La Cour a estimé que la stratégie Net Zéro ne respectait pas les articles 13 et 14 du « Climate Change Act ». Les requérants ont obtenu un jugement déclaratoire obligeant le secrétaire d’Etat britannique à déposer un nouveau rapport. Au-delà de constituer une conclusion d’illégalité relative à la stratégie gouvernementale, cette affaire montre qu’une loi climatique peut être appliquée par le biais du système judiciaire si le gouvernement ne respecte pas ses obligations légales.

III. L’affaire Italienne « Giudizio Universale »

L’action italienne « Giudizio Universale » étant encore en cours d’instance, Filippo P. Fantozzi propose de s’intéresser à la philosophie générale de la cause à l’origine de l’action en justice, aux faits qui justifient cette action, aux fondements juridiques du recours et à ses développements possibles.

Cette action, déposée auprès du Tribunal civil de Rome en juin 2021, a été menée dans le cadre d’une campagne de sensibilisation connue sous les noms de « jugement universel » et d’« affaire du siècle ». Elle s’inscrit ainsi dans le phénomène du contentieux climatique mené à travers le monde. L’action a été lancée par plus de deux-cent requérants comprenant notamment des résidents italiens, des enfants et des associations de protection de l’environnement.

Le litige met en cause la carence fautive structurelle de l’Etat à réduire les émissions de gaz à effet de serre en Italie, du fait d’un engagement quasi-inexistant de politiques publiques adaptées à la crise climatique. L’action appuie que cette carence fautive entraîne la violation de nombreux droits humains. Filippo P. Fantozzi souligne enfin que, dans l’attente d’un jugement rendu par le Tribunal civil de Rome, cette action constitue une opportunité pour sensibiliser à la nécessité de demander des comptes au gouvernement en matière d’inaction climatique.


[1] Haute Cour de Justice administrative, Friends of the earth limited, ClienteEarth, Good Law Project and Joanna Wheatley v. Secretary Of State For Business energy and industrial Strategy, n° CO/126/2022, CO/163/2022, CO/199/2022, 18 juillet 2022

[2] Suprême Cour des Etats-Unis, West Virginia et al. v. Environmental Protection Agency (EPA) et al., No. 20-1530, 30 juin 2022

[3] Suprême Cour des Etats-Unis, Massachusetts v. EPA, 549 U.S. 497, 2 avril 2007

Séance n°4 du Cycle de séminaires « L’urgence écologique au prétoire » du programme ANR PROCLIMEX et du programme ALCOM - Fabrique des expertises au service de la justice climatique

Le 21 novembre 2022

Organisé par la Professeure de droit public Christel COURNIL, ce séminaire a réuni quatre intervenants : Kari De Pryck, Maitresse assistante, Université de Genève, Institut des Sciences de l’Environnement (GEDT) ; Julien Bétaille, Maître de conférences en droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Membre de l’Institut universitaire de France ; Yann Robiou du Pont, Climate policy analyst, advisor on climate litigation ; Véronique Boillet, Professeure associée en droit public, Université de Lausanne.

I. Du rôle du GIEC, de la dépolitisation des enjeux climatiques à un instrument stratégique au service de la justice climatique ?

Etabli en 1988 sous les auspices du PNUE et de l’OMM, Kari De Pryck rappelle que le GIEC est présenté comme une organisation scientifique et intergouvernementale. Conçu comme une innovation institutionnelle, le GIEC propose un premier rapport en 1990 qui posera les fondations de la CCNUCC. Le GIEC produit des rapports complets et leurs résumés à l’intention des décideurs (RIS) très précisément négociés par les Etats membres du GIEC. Contrairement aux rapports complets rédigés par les auteurs, les RIS représentent alors le consensus entre les Etats membres sur l’état des connaissances relatives au changement climatique. Si rien ne peut être ajouté sans l’accord des auteurs, les Etats membres peuvent décider de supprimer certains énoncés. Les RIS ne sont pas contraignants mais sont perçus par les Etats comme possédant une certaine force contraignante. Ils présentent une compréhension dépolitisée et décontextualisée du changement climatique car ils doivent refléter l’ensemble des intérêts des Etats.

Kari De Pryck s’emploie à démontrer que le GIEC présente avant tout le problème climatique comme un problème global, scientifique et technique alors qu’il s’agit davantage d’un problème politique, social et économique avec de forts enjeux d’inégalités. Des changements sont néanmoins opérés en ce sens avec l’arrivée au GIEC de membres en sciences sociales. Les conclusions du GIEC figurent largement dans le contentieux climatique[1] dans le cadre duquel l’organisation est souvent présentée comme reflétant le consensus scientifique international. Pourtant, les rapports du GIEC sont issus de compromis, de consensus et de jugements d’experts susceptibles d’évolution en fonction des experts appelés à produire les rapports.

II. La recherche juridique dans le 6ème rapport du GIEC

Interpelé par la place nouvellement dédiée à une section juridique dans le 6ème rapport du GIEC, Julien Bétaille a tenté d’examiner l’utilisation de la recherche juridique par le GIEC. Il s’agit de comprendre comment le GIEC utilise et synthétise les recherches juridiques en matière climatique. Pour ce faire, Julien Bétaille présente et analyse sa base de données qui porte sur vingt-huit études citées par le GIEC. Si la plupart des études sont publiées dans des revues scientifiques, la majorité de ces études ne comportent aucun juriste parmi les auteurs. Il s’agit en grande majorité d’étude empiriques et non doctrinales, avec des statistiques purement descriptives. Il semble également exister une répartition équilibrée entre les études fondées sur des données qualitatives et celles fondées sur des données quantitatives. Julien Bétaille s’emploie enfin à critiquer le manque d’approche systématique dans les études juridiques doctrinales.

III. La fabrique de la preuve scientifique au prétoire : retour sur les présentations des trajectoires de réduction les plus équitables aux juges

Dans le cadre de sa contribution, Yann Robiou du Pont s’intéresse d’abord à la manière dont l’ambition et l’équité sont quantifiées dans les demandes de la CCNUCC envers les Etats, en matière de réduction de gaz à effet de serre. D’autre part, il se penche sur la manière dont le partage de l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre est utilisé par les cours de justice.

En effet, différents principes d’équité sont corroborés par les études du GIEC et la quantification équitable de la réduction d’émissions par pays à horizon 2030 est analysée selon différents critères d’équité. Yann Robiou du Pont souligne notamment que si chaque pays visait, selon la façon qui l’arrange, à limiter à 2°C le réchauffement planétaire tel qu’inscrit dans l’Accord de Paris, cette température planétaire serait dépassée au niveau mondial. Cette constatation a notamment permis de justifier un recours direct devant la CourEDH, selon un argument précis : une multiplication de décisions nationales imposant aux Etats d’effectuer le minimum pour limiter le réchauffement planétaire ne suffirait pas à considérer que les Etats partagent équitablement l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

IV. Produire une doxa : l’amicus curiae des académiques dans le procès suisse à Strasbourg

Véronique Boillet présente la requête de l’association des Aînées pour le climat[2] qui, en leur qualité de femmes âgées particulièrement touchées par le réchauffement climatique, ont enjoint le gouvernement suisse à prendre toutes les mesures nécessaires dans leur domaine de compétence pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Déboutées en première et deuxième instances, les requérantes ont formé un recours devant la CourEDH, soutenues par plusieurs interventions. Dans le cadre de son étude, Véronique Boillet observe six types d’interventions devant la CourEDH :

  • les Etats dans les litiges opposant l’un de leurs ressortissants à un autre Etat contractant ;
  • les Etats lorsque leur ordre juridique sera affecté par l’issue d’une affaire ;
  • les interventions d’autres institutions internationales compétentes dans le domaine en cause ;
  • les interventions des institutions nationales des droits de l’homme ;
  • les interventions des ONG ;
  • les interventions universitaires.

Véronique Boillet observe également une diversité d’objets des interventions, à savoir : l’apport d’éléments statistiques et de données scientifiques, la présentation du droit international pertinent à la lumière des interprétations d’autres cours internationales, la présentation de la jurisprudence de la CourEDH et la présentation du droit comparé et national pertinents. En principe, la Cour accueille favorablement et prend en considération ces interventions dans l’idée de promouvoir un dialogue avec les différents acteurs pour enrichir ses délibérations. L’intervention menée par Véronique Boillet et Evelyne Schmid auprès de la CourEDH dans l’affaire des Aînées pour le climat a été motivée par l’absence de caractère convaincant de l’argumentation juridique des autorités judiciaires suisses. Cette intervention poursuit l’objectif de contextualiser les jugements suisses. Elle a été orientée sur des problématiques particulièrement liées à l’argumentation développée par les autorités nationales (la qualité de victime, la spécificité du système politique suisse et sa démocratie semi-directe).


[1] Requête déposée le 26 novembre 2020 devant la Cour EDH, dans l’affaire Association Aînées pour la protection du climat c. Suisse

[2] Cour du District de La Haye, Fondation Urgenda contre Pays-Bas, 24 juin 2015

Séance n°3 du Cycle de séminaires « L’urgence écologique au prétoire » du programme ANR PROCLIMEX et du programme ALCOM - Les enfants et jeunes plaignants au prétoire face à l’urgence écologique

Le 30 septembre 2022

Organisé par la Professeure de droit public Christel COURNIL, ce séminaire a réuni six intervenants : Sébastien Jodoin, Associate Professor, McGill University, Paul Mougeolle Doctorant et juriste pour Notre affaire à tous et Global Legal Action Network, Clémentine Baldon Avocate, Hélène Leleu Avocate, Laure-Marine Vioujard coordinatrice diplomatique World’s Youth for Climate Justice (WYCJ) et Émilie Gaillard, Maîtresse de conférences en droit privé, Sciences Po Rennes, Chaire Normandie pour la Paix.

I. Tendances et obstacles judiciaires des procès climatiques menés par la jeunesse

Dans le cadre de son intervention, le Professeur associé Sébastien Jodoin rappelle les causes de la particulière vulnérabilité des enfants face au changement climatique, en revenant sur les facteurs d’exposition, de sensibilité et de capacité d’adaptation. A travers une collecte et une analyse des politiques climatiques dans le monde, l’intervenant présente les groupes qui sont reconnus comme plus vulnérables par les Etats. A ce titre, 74 Etats reconnaissent à ce jour que les enfants sont particulièrement vulnérables au changement climatique. Dans ce contexte, trente-et-une affaires climatiques domestiques dans le monde, dont deux affaires internationales, sont axées sur les droits des jeunes.

Trois types d’affaires peuvent être identifiés, premièrement les cas dans lesquels les requérants plaident l’insuffisance des efforts de réduction des émissions de carbone et de respect des engagements climatiques et la menace qui en découle sur les droits des enfants. Le deuxième type d’affaires est relatif aux efforts insuffisants de mise en œuvre des mesures d’atténuation et d’adaptation menant à la violation des droits des enfants. Dans un troisième type d’affaires, les jeunes requérants plaident une demande de contrôle judiciaire des approbations réglementaires spécifiques qui devraient avoir des impacts climatiques dramatiques. Deux types d’arguments sont principalement avancés par les requérants, d’une l’insuffisance des efforts de réductions des émissions de gaz à effet de serre[1] et d’autre part une obligation fiduciaire de l’Etat de protéger les droits des jeunes face au changement climatique ainsi que le droit à une atmosphère stable[2]. Le Professeur associé Sébastien Jodoin présente également les résultats des cas climatiques axés sur les droits des jeunes, avec une majorité de recours rejetés pour manque de justiciabilité et de qualité pour agir.

II. Le procès des « jeunes portugais » devant la Cour européenne des droits de l’Homme

Le doctorant et juriste Paul Mougeolle revient sur l’affaire des jeunes portugais contre trente-trois Etats devant la CourEDH, son caractère novateur à plusieurs égards et les étapes procédurales qui la composent depuis l’introduction du recours le 7 septembre 2020. Dans le cadre de leur recours, les requérants font valoir des atteintes à leur santé, causées par des pics de chaleur, feux de forêts, pollution et allergènes et anxiété climatique avec une aggravation prévue par le changement climatique. Il revient sur les défis qui entourent l’introduction de ce recours, à savoir la condition d’épuisement des voies de recours internes, la juridiction extraterritoriale et l’applicabilité des articles de la ConventionEDH.

III. Le combat des jeunes contre le Traité sur la Charte de l’énergie à Strasbourg

Dans le cadre de son intervention, l’avocate Clémentine Baldon présente le Traité sur la Charte de l’énergie à Strasbourg (1994) par lequel une cinquantaine d’Etats européens permettent aux investisseurs étrangers de leur pays d’attaquer devant des tribunaux d’arbitrage internationaux les pays signataires, dans le cas où la valeur de leur investissement serait impactée par le droit national. Clémentine Baldon met notamment en lumière le mécanisme dérogatoire du droit commun et très puissant du Règlement des différends investisseurs-Etats (RDIE) qui permet aux investisseurs étrangers de ne pas passer devant les juridictions nationales et de directement porter leur différend devant des arbitres. Ces mécanismes ne présentent pas les mêmes standards de protection de l’Etat de droit (protection contre les conflits d’intérêts, indépendance des juges, double degré de juridiction, transparence…). Le TCE est vu comme un obstacle à la transition énergétique en raison de l’interprétation extensive de la notion d’investisseur étranger et des standards de protection, du montant considérable des indemnités, du pouvoir de dissuasion envers les Etats. Des jeunes requérants ont ainsi attaqué un certain nombre d’Etats pour les contraindre à lever certains obstacles à la transition énergétique présents dans le TCE.

Une grande partie du raisonnement juridique de l’action recoupe celui du recours des jeunes portugais, notamment les fondements juridiques de l’action au titre des articles 2, 8, 14 et 3 de la ConventionEDH. Les requérants entendent également démontrer que le TCE fait obstacle à la transition énergétique, indispensable à l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris. Ils demandent ainsi le retrait des Etats du TCE ou une véritable réforme du traité. Le recours fait face aux mêmes défis que l’affaire Duarte Agostino mais présente les particularités inédites d’opposer la ConventionEDH à un autre traité et de démontrer le « chilling effect »[3].

IV. Présentation du recours en inaction environnementale mené par les parents d’élèves drômois et le collectif « Parents pour la planète »

L’avocate Hélène Leleu revient sur le recours local exercé par un collectif de quarante-trois parents pour inaction climatique, devant le Tribunal administratif de Lyon. Les requérants sont des parents d’enfants vivants dans la Drôme particulièrement inquiets pour la santé et l’avenir de leurs enfants face au changement climatique. Ils ont mené un recours contre le Préfet de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et ses services, arguant qu’ils ne mettaient pas suffisamment en œuvre les compétences qu’ils tiraient des textes et qu’ils étaient à ce titre responsables d’une abstention particulièrement préjudiciable dans le contrôle de la protection de l’environnement et les mesures prises face au changement climatique. L’objet du recours est de démontrer domaine par domaine, à travers les conséquences du changement climatique, en quoi l’Etat ne mène pas les actions suffisantes pour y faire face. Les requérants font précisément valoir les particularités locales de leur action, dans un département particulièrement affecté par le changement climatique (gestion des eaux, feux de forêts…).

V. L’activisme des jeunes pour une demande

Dans le cadre de leur intervention, Laure-Marine Vioujard et Émilie Gaillard reviennent sur la campagne menée entre 2011 et 2012 par l’Etat de Palau pour défendre les intérêts et l’environnement des Etats du Pacifique vulnérables face au changement climatique. En 2019, inspirés par cette initiative, une coalition d’étudiants en droit de l’Université du Pacifique Sud a mis en place une campagne visant à porter la question de la justice climatique devant la Cour internationale de justice (CIJ). Le groupe d’étudiants a convaincu les leaders de l’Etat insulaire du Vanuatu de présenter un projet de résolution aux membres de l’Assemblée générale des Nations-Unis pour porter la question de la responsabilité climatique devant la CIJ. Ils travaillent aujourd’hui pour rassembler le soutien des Etats au niveau international.
Émilie Gaillard s’emploie notamment à présenter la métamorphose des droits de l’Homme vers une fondamentalisation du droit à l’environnement et un dépassement de la pensée binaire entre les droits individuels et collectifs. Elle souligne enfin l’intérêt et l’efficacité des campagnes de lutte contre le changement climatique portées par des jeunes plaignants.


[1] Phénomène entendu comme le découragement de l’exercice des droits par la menace d’une sanction légale.

[2] Cour du District de La Haye, Fondation Urgenda contre Pays-Bas, 24 juin 2015

[3] Cour du District de l’Oregon (Etats-Unis), Kelsey Cascadia Rose Juliana et al. v. U.S. Government, 12 août 2015

Séance n°2 du Cycle de séminaires « L’urgence écologique au prétoire » du programme ANR PROCLIMEX et du programme ALCOM - Métamorphose des responsabilités : des entreprises multinationales au prétoire

Le 31 mai 2022

Organisé par la Professeure Christel COURNIL, ce séminaire a réuni six intervenants : Luca D’Ambrosio, Avocat et Chercheur associé à l’Institut de recherche en droit international et européen de la Sorbonne ; Paul Mougeolle, Doctorant en droit et juriste NAAT ; Clémentine Baldon, Avocate ; Clara Gonzalez, Juriste Greenpeace ; Jean-Marc Bonneville, Directeur de recherches CNRS, Matthias Petel, Doctorant en droit, Harvard Law School, Université catholique de Louvain, FIDH.

I. La vigilance des entreprises privées et l’apport du procès Shell

Dans le cadre de son intervention, le chercheur Luca D’Ambrosio revient sur la notion de vigilance qui caractérise une partie du contentieux climatique engagé contre les entreprises en Europe[1]. Ce contentieux s’inscrit dans l’approche de la responsabilité-prévention, en opposition à la responsabilité-réparation classique. Il existe également la responsabilité-information, obligeant les entreprises à communiquer et à rendre compte de certaines de leurs actions.

Dans son jugement rendu le 26 mai 2021, le Tribunal de la Haye prononce une injonction envers la société-mère Royal Dutch Shell, l’obligeant à réduire le volume annuel de ses émissions de CO2 liées à ses activités et produits à hauteur de -45% en 2030 par rapport aux niveaux de 2019 et de -100% en 2050. Il s’agit du premier jugement qui reconnait l’obligation juridique d’une société privée de réduire ses émissions de CO2 dans le but d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Le fondement principal de ce jugement est constitué de l’obligation civile nationale de due diligence interprétée à l’aune de la hard law et de la soft law internationales ainsi que de la théorie de l’horizontalisation indirecte des droits humains. Ces obligations concernent les activités directes de l’entreprises mais également les risques d’atteintes qui procèdent des relations d’affaires. Il s’agit d’une solution progressiste dans la mesure où elle tend à dépasser les frontières territoriales et juridiques de la responsabilité. La décision a ainsi permis d’introduire une nouvelle règle de la responsabilité dans l’univers juridique à travers une approche dite ex ante, caractérisée par la valorisation des obligations de prévention.

II. Le cas de Total à la lumière de l’affaire Shell

Dans le cadre de son intervention sur l’affaire Total[2], le doctorant et juriste Paul Mougeolle revient sur le contexte de l’affaire Urgenda (2015)[3] à l’origine du mouvement mondial de justice climatique. Cette affaire a notamment permis de consacrer la notion de duty of care utilisée par la suite dans l’affaire Milieudefensie v. Shell (2021)[4].  En France, une action a été menée en 2020 contre la multinationale Total, actrice majeure du développement des énergies fossiles. Paul Mougeolle retrace alors le contexte du lobbying mené par l’entreprise qui a été déterminant dans le cadre de la réglementation nationale et internationale sur le réchauffement climatique. Tandis que l’action contre la société Royal Dutch Shell s’appuie sur le principe de due diligence, l’action contre la société Total s’appuie sur le fondement du devoir de vigilance adopté par le législateur en 2017[5]. Elle prévoit l’obligation pour les sociétés-mères de mettre en place un plan de vigilance dans lequel elles doivent identifier et prévenir les atteintes graves aux droits humains et à l’environnement (établissement d’une cartographie des risques, mise en place d’actions adaptées d’atténuation des risques et de prévention des atteintes graves…).

Elle s’appuie également sur l’obligation de vigilance environnementale déduite des articles 1 et 2 de la Charte de l’environnement par le Conseil constitutionnel et sur l’article 1252 du code civil qui consacre le préjudice écologique. Les associations requérantes soulignent en filigrane l’insuffisance des actions à court terme, le manque de pro-activité de la société, l’inexactitude de sa communication et la possibilité de contournement des objectifs par l’entreprise.

III. Le greenwashing climatique : le recours contre Total

L’avocate Clémentine Baldon et la juriste Greenpeace Clara Gonzalez présentent l’assignation déposée contre Total le 2 mars 2022 par Greenpeace France, les Amis de la Terre et Notre Affaire à Tous pour pratique commerciale trompeuse concernant la campagne de rebranding de TotalEnergie en date du 29 mai 2021. Dans le cadre de cette campagne, l’entreprise exprime sa volonté de transition énergétique pour contribuer au développement durable de la planète face au défi climatique avec une référence explicite au concept de neutralité carbone pour 2050.

L’action entreprise par les associations contre Total visait alors trois allégations principales : l’affichage de l’ambition neutralité carbone d’ici 2050, l’impact climatique du gaz fossile et l’impact climatique des biocarburants. Les fondements du recours s’appuient sur du droit de la consommation. A la différence de l’affaire Shell, ce ne sont pas les stratégies de l’entreprise qui sont visées mais la communication qui en est faite au consommateur par le biais de pratiques commerciales trompeuses[6]. Cela inclut notamment les « allégations environnementales »[7], communément appelées « greenwashing ». L’action vise ainsi à démontrer que la campagne d’affichage de la neutralité carbone d’ici 2050 par Total constitue une pratique commerciale trompeuse qui détourne un concept scientifique non-malléable de limitation du réchauffement climatique à 1,5°C tel qu’inscrit dans l’Accord de Paris.

IV. La plainte d’un collectif de scientifiques devant le Jury de Déontologie Publicitaire

La publicité fait l’objet d’un contrôle législatif et déontologique (autorité de régulation professionnelle de la publicité). Dans son intervention, le directeur de recherches au CNRS Jean-Marc Bonneville retrace le parcours d’une plainte devant le Jury de Déontologie Publicitaire : la plainte « zéro émission ».

V. Présentation des actions #SeeYouInCourt

Le doctorant en droit Matthias Petel présente le projet des actions #SeeYouInCourt dans le monde en retraçant les actions au Chili, en Colombie et en Equateur. Ce projet met en exergue l’interdépendance entre les droits humains et la lutte contre les changements climatiques dans une perspective de justice climatique. L’intervenant revient également sur les enseignements tirés de l’échec de l’action judiciaire en Equateur. Il souligne alors la nécessité de faire le lien entre le langage scientifique traditionnel et les référents culturels autochtones, le risque de pression forte de la part de la multinationale pour diviser la communauté autochtone et obtenir l’arrêt des poursuites ainsi que la nécessaire compréhension des divisions au sein des communautés autochtones et l’importance du combat extra-judiciaire.


[1] Directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur […] ; Article L. 121-1 et suivants du Code de la consommation

[2] LOI n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

[3] Tribunal judiciaire de Nanterre, ord. JME, Notre Affaire à Tous et autres c/ SE Total11 février 2021, n° 20/00915

[4] Cour du District de La Haye, 24 juin 2015, Fondation Urgenda contre Pays-Bas

[5] Tribunal de La Haye, Milieudefensie et al. c/ RoyalDutch Shell, 26 mai 2021

[6] LOI n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre

[7] Tribunal de La Haye, Milieudefensie et al. c/ RoyalDutch Shell, 26 mai 2021

Séance n°1 du Cycle de séminaires « L’urgence écologique au prétoire » du programme ANR PROCLIMEX et du programme ALCOM - « Justice pour le vivant », Fabrique du procès en responsabilité de l’Etat en matière de biodiversité 

 

Le 12 avril 2022, s’est ouvert le cycle de séminaires « L’urgence écologique au prétoire », dans le cadre du projet de recherche PROCLIMEX. Le cycle de séminaire a débuté par une première session intitulée : « Justice pour le vivant – Fabrique du procès en responsabilité de l’Etat en matière de biodiversité ». Organisé par la Professeure de droit public Christel COURNIL, ce séminaire a été mené dans le contexte inédit d’un recours introduit contre l’Etat français pour manquement à ses obligations de protection de la biodiversité. Le recours a été déposé le 10 janvier 2022 par cinq associations de protection de l’environnement devant le Tribunal administratif de Paris. Pour traiter du « recours biodiversité », la session a ainsi réuni quatre intervenants dans cette affaire, Chloé Gerbier, juriste, membre de Notre affaire à tous et co-présidente de l’association Terres de Luttes, Dorian Guinard, maitre de conférences de droit public à Sciences Po Grenoble, Barbara Berardi, responsable du Pôle Pesticides de l’association Pollinis et Julia Thibord, juriste en droit de l’environnement.

I. La fabrique du recours « biodiversité » après le contentieux climatique

Dans le cadre de son intervention, la juriste Chloé Gerbier revient sur une question centrale qui a animé les associations de protection de l’environnement : comment retenir la responsabilité de l’Etat en matière de protection de la biodiversité ? En cause : les multiples dérogations au principe de protection de la biodiversité, notamment dans le cadre de l’usage des produits phytopharmaceutiques. Le « recours biodiversité » déposé le 10 janvier 2022 s’inscrit alors dans la même stratégie que celui de l’Affaire du siècle[1] ; il fait suite à une demande préalable formulée à l’encontre de l’Etat pour exiger le respect de ses obligations en matière de protection de la biodiversité. Dans le cadre de leur recours, les associations ont formé une demande de réparation en nature ainsi qu’une demande de cessation de mise sur le marché d’une liste de produits identifiée. En filigrane, elles invitent les pouvoirs publics à revoir entièrement le processus d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Sur le modèle de l’Affaire du siècle, le recours correspond ainsi à un recours hybride entre un recours pour excès de pouvoir et un recours en plein contentieux.

II. La mise en contexte du recours 

Dans le cadre de sa contribution, le maitre de conférences de droit public Dorian Guinard s’emploie en premier lieu à dresser l’état de la science concernant la menace qui pèse sur un certain nombre d’espèces. En effet, sur les huit millions et demi d’espèces recensées, environ un million sont menacées d’extinction ; une disparition qui s’observe sur des échelles de temps très réduites et sans précédent. En second lieu, Dorian Guinard se penche sur la juridiciarisation des données scientifiques par le « recours biodiversité » déposé en janvier 2022. A l’occasion de ce recours, il est avancé que l’Etat n’a pas protégé la biodiversité car il n’a pas mis en place les conditions nécessaires d’évaluation de la dangerosité d’un certain nombre de produits. D’une part, en effet, les évaluations menées dans le cadre des autorisations de mise sur le marché de ces produits sont souvent réalisées sur des espèces dites « parapluies » qui ne correspondent pas aux espèces majoritaires soumises à ces produits dans la nature. D’autre part, ces évaluations ne prennent pas en compte les effets dits « cocktails », c’est-à-dire l’assemblage d’autres substances avec la substance active autorisée pour former le produit ou les effets des produits entre eux. A partir de l’observation de telles carences dans les tests protocolaires, les associations tendent d’une certaine manière à produire une qualification juridique de l’état de la science sur le sujet, de manière semblable à l’Affaire du siècle.

III. Les effets des pesticides sur le vivant, le cas des polinisateurs

L’intervention de Barbara Berardi, Responsable du Pôle Pesticides de l’association Pollinis traduit « les paradoxes d’un règlement protecteur qui ne protège pas », en soulignant la nécessité de faire évoluer le cadre réglementaire de l’évaluation du risque en particulier concernant les polinisateurs. Elle rappelle que les produits phytopharmaceutiques font, en principe, l’objet d’une réglementation stricte dans le droit de l’Union européenne par le biais du Règlement (CE) 1107/2009 du 21 octobre 2009[2] concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Ce règlement préconise une évaluation approfondie des risques environnementaux pour l’autorisation d’une substance dans l’Union européenne afin d’atteindre un niveau élevé de protection de la santé et de l’environnement face aux « effets inacceptables » des pesticides. Pour autant, la difficulté à déterminer un « effet inacceptable » pousse à considérer que les objectifs définis par la législation sont trop généraux pour être directement applicables. L’association appelle ainsi à les décliner en objectifs de protection spécifique inclus dans les lignes directrices européennes.

IV. Les arguments de droits portés devant le juge administratif

Dans le cadre de son intervention, la juriste en droit de l’environnement Julia Thibord, rappelle les conditions d’engagement de la responsabilité pour faute de l’Etat devant le juge administratif qui encadrent le « recours biodiversité », de la même manière que dans l’Affaire du siècle. Ce recours en responsabilité est conditionné par la démonstration de la carence de l’Etat à respecter ses obligations en matière d’évaluation des effets des produits phytopharmaceutiques[3], la démonstration du préjudice écologique[4] et celle du lien de causalité entre la faute et le préjudice. Le recours déposé le 10 janvier 2022 a été formé à l’appui de trois moyens. Le premier moyen repose sur la défaillance des procédures d’évaluation et d’autorisation des produits phytopharmaceutiques. Le deuxième moyen traduit les carences fautives dans la mise en œuvre des politiques de réduction de l’utilisation et des effets des produits phytopharmaceutiques, notamment le non-respect de la trajectoire que l’Etat s’est lui-même fixé à travers les plans Ecophyto, dans une logique similaire à la trajectoire de la stratégie nationale bas carbone de l’Affaire du siècle. Le troisième moyen formulé à l’appui du recours est fondé sur les manquements de l’Etat aux obligations internes et européennes dans le domaine de l’eau[5].


Ce séminaire a ainsi été l’occasion de comprendre les conditions et les enjeux qui entourent la formation du recours en responsabilité de l’Etat en matière de protection de la biodiversité. Inscrit dans une série de stratégies déjà mobilisées dans le contentieux de l’Affaire du siècle, le « recours biodiversité » du 10 janvier 2022 traduit tout particulièrement la judiciarisation des expertises scientifiques en matière de biodiversité.

[1] TA Paris, 3 février 2021, Association Oxfam France et autres, n° 1904967

[2] Règlement n° 1107/2009 du 21/10/09 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil

[3] Règlement n° 1107/2009 du 21/10/09 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil ; CJUE, 1er oct. 2019, aff. C-616/17, Procureur de la République c/ Blaise e. a. ; Art. 191§2, TFUE ; Art. 5, Charte de l’environnement ; Art. L253-1, Code rural et de la pêche maritime.

[4] LOI n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ; TA Paris, 3 février 2021, Association Oxfam France et autres, n° 1904967

[5] Directive n° 2000/60/CE du 23/10/00 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau ; Art.L.210-1, Code de l’environnement