Axe transversal
« Penser la différence (cas/séries, normalité/exceptionnalité) »
Cet axe transverse s’inscrit pleinement dans la stratégie du laboratoire Mesopolhis puisque sa thématique répond à plusieurs objectifs identifiés comme prioritaires : faire de la nouvelle unité un pôle de réflexion sur les méthodes et les processus de production de la connaissance scientifique ; impulser et faire vivre des espaces d’échange interdisciplinaire autour d’enjeux communs à la sociologie, à l’histoire et à la science politique.
Cet axe transverse sera animé par un séminaire de laboratoire pérenne qui pourra nourrir des projets collectifs tels que l’organisation de colloques, la publication d’ouvrages collectifs ou de dossiers spéciaux dans des revues scientifiques, ou encore la réponse à des appels à projets.
La réflexion part du constat que les chercheurs en sciences humaines et sociales sont fréquemment confrontés à la double injonction de rendre compte de la différence avec l’obligation de la restituer dans un langage commun, c’est-à-dire de l’aplanir suffisamment pour la rendre compréhensible et partageable au-delà du seul champ des pairs spécialistes du sujet. Ce problème n’est pas neuf, évidemment, mais il n’a cessé d’être réactivé par divers facteurs, intimant parfois aux sciences humaines et sociales une capacité de réadaptation ou du moins de remise en cause de leurs outils d’analyse. Les chercheurs qui pratiquent les sciences humaines sociales qualitatives, a fortiori celles qui s’inscrivent dans l’enquête de terrain ou l’immersion ethnographique, sont souvent confrontées à l’obligation de livrer des chiffres, des ordres de grandeur, des théories générales quand l’essentiel de leur épistémologie réside dans l’attention au cas, à son contexte et à ses coordonnées historiques et sociales. De même, quand les chercheurs s’attèlent à étudier des situations intensément dramatiques et spontanément perçues comme « exceptionnelles » ou « extra-ordinaires », il leur est difficile de faire valoir les mérites de l’hypothèse continuiste (Michel Dobry). Les injonctions adressées aujourd’hui à la recherche en SHS par les pouvoirs et les médias sont telles qu’elles peuvent conduire à révoquer le projet de comprendre – au motif que « comprendre, c’est excuser » (e. g. : actes terroristes, émeutes dans les banlieues) – ou celui de rendre compte des diverses logiques sociales et subjectivités à l’œuvre dans de tels processus « hors normes » (voir les débats sur l’incommunicabilité de certaines expériences comme les meurtres de masse, les génocides ou les violences de guerre).
Comment préserver la singularité et la richesse des analyses contextuelles sans abandonner la formulation d’hypothèses explicatives générales sur les tendances sociales ? Comment penser l’exceptionnalité des phénomènes sociaux sans céder aux méthodologies et aux théorisations ad hoc ?
L’enjeu de ces questions est considérable tant sur le plan de l’épistémologie pratique des SHS que sous l’aspect de leur capacité à faire entendre la voie/voix des chercheurs au-delà des seuls espaces professionnels de la parole académique. Concernant la singularité des processus, les milieux de la recherche ont connu des remises en cause internes, fondées sur la revendication de l’idiosyncrasie irréductible de certaines situations, de certains objets ou d’une certaine façon de les penser. C’est la position qu’affirment les courants d’étude qui choisissent d’opérer en rupture avec les traditions des SHS (comme le montrent les diverses studies de la recherche outre-Atlantique). Les rencontres et programmes du Centre de Sociologie et d’Études Politiques qui animeront cet axe transverse auront pour but d’interroger les façons d’étudier et de rendre compte, auprès des pairs et dans la Cité, de situations inédites, exceptionnelles, impensées. Il s’agira d’aborder l’adaptation des outils d’analyse communs lorsque ceux-ci sont confrontés à la singularité ou encore des outils d’analyse du commun quand ils sont appliqués à l’extra-ordinaire.