Axe transversal
« Images et sciences sociales »

Images et sciences sociales : la recherche avec-par-de-sur l’image

Journée d’étude du 14 mai 2019 - MMSH

Dans le cadre du rapprochement entre Cherpa et Lames, cette journée s’est proposée d’explorer ce que la révolution numérique fait au travail de chercheur en sciences sociales soucieux d’enquête empirique et d’attention aux interactions sociales quand elle rend l’image exploitable beaucoup plus facilement (pour recensement-indexation, pour filmage-cadrage-montage, pour hybridation…), et cela sous différentes formes. Des initiatives dispersées qu’on a repérées chez différents chercheurs des deux laboratoires donnaient envie de pousser le recensement et de voir si la coordination de ces explorations suivant des modalités à imaginer pourrait leur donner plus de chances de succès et plus de force pour travailler nos objets d’investigation.

Au-delà des usages illustratifs, l’image à l’ère numérique offre des possibilités nouvelles d’écrire les sciences sociales si l’on pense à l’écriture filmique, à la narration de la bande dessinée, à la composition web qui non seulement articule plusieurs media (dont le texte écrit) mais aussi ouvre des possibilités de science participative en permettant d’envisager des modes nouveaux de collecte de données et de co-construction des interprétations avec les personnes étudiées. Ces pratiques d’écriture avec l’image, encore peu normées dans les sciences sociales, ont pour enjeu d’exploiter chez les lecteurs-spectateurs des appétits spécifiques pour les supports imagés dans notre société de l’écriture plurimedia. Elles proposent aussi des allègements de l’effort d’attention qui est habituellement demandé aux lecteurs des sciences sociales imprimées. Elles font enfin de la place à des modes de compréhension infra-consciente des actions sociales : utilisant l’émotion, soulignant les échos et les écarts avec l’expérience biographique du lecteur-spectateur, établissant des correspondances entre les analyses du chercheur et la réflexion du spectateur sur son expérience personnelle pour produire un effet de compréhension et de conviction.

À cette piste de l’écriture de la recherche avec l’image, il faut ajouter des pistes de recherche amplifiées par l’image. On pense d’abord à l’image comme modalité de prélèvement d’information sur le réel pour faciliter le travail du chercheur. La numérisation et la simplification de la captation vidéo viennent ainsi enrichir l’image fixe de situations et l’enregistrement sonore d’entretiens tels qu’apparus avec l’appareil photo et le magnétophone pour permettre au chercheur de continuer à travailler à distance du terrain. Elles facilitent aussi l’exploitation d’entretiens collectifs, classiquement difficiles à suivre. Au-delà, quand le chercheur ne se contente pas de poser la caméra mais la prend en main, elles ouvrent la voie à des captations de situations complexes à ethnographier. Non sans poser la question d’une double utilisation de l’image : comme objectivation informative à collecter et, à ce titre, support d’analyse, mais aussi comme mobilisable à l’adresse du public des sciences sociales comme attestation de réalité et, à ce titre, posée comme support de discussion. Avec des problèmes associés : une limite aux possibilités d’anonymat des enquêtés, une réflexion sur les effets d’artefact liés à la profilmie ou à l’instrumentalisation possible du travail des sciences sociales par les acteurs eux-mêmes quand ils voient les chercheurs comme des porte-voix/porte-image.

Parmi les pistes de recherche par l’image, on peut citer aussi le développement de la vidéo-élicitation dans l’enquête de sciences sociales : non seulement à partir de l’image d’auto-mise en scène (de famille, de travail…) ou de l’image produite par le chercheur sur l’activité de l’enquêté et discutée avec lui (auto-confrontation filmique), mais aussi au moyen de l’image de fiction ou au moyen de l’image produite par les acteurs sociaux avec leur smartphone dans leur quotidien au titre d’exceptionnel-ordinaire qui mérite d’être diffusé à leur sociabilité pour les aider à y tenir une place (de choix).

L’image est aussi le produit d’une activité sociale, l’expression d’une opération de symbolisation et, comme conduite sociale, elle mérite de faire l’objet de recherches de sciences sociales : il faut donc prendre au sérieux une recherche d’images et une réflexion sur leurs conditions de production, de diffusion, de réception, voire d’hybridation et de rediffusion, de remise en circulation avec plus-value à l’heure des réseaux sociaux. Ce qui réclame de lire l’image dans ses multiples dimensions. Cette piste envoie très vite vers une recherche sur les images, c'est-à-dire sur leur utilisation (de la production à la mise en forme et à l’hybridation avant diffusion-rediffusion), sur leur inscription dans des stratégies de la présentation de soi et de mobilisation collective derrière une cause, comme outil de pouvoir et de défense.

En évoquant ces questions de recherche avec-par-de-sur l’image, peut-on laisser de côté la question de la diffusion de la recherche au plus grand nombre et celle de la formation à la recherche, au regard sociologique pour parler comme Hughes, à la réflexion sur la raison graphique pour parler comme Jack Goody ? Certainement pas. D’autant que la pratique de l’enseignement de la recherche avec l’image est forcément à l’origine d’apprentissages dans la recherche d’images et de réflexions sur la recherche par l’image et sur l’image.